Ouvert en septembre 2020 au Centre Pompidou, le cycle consacré aux cartographies contemporaines de la pensée et de la création s’intitule Planétarium. Accueillir Dipesh Chakrabarty, c’est mesurer à quoi un tel intitulé engage : rien moins qu’à un décentrement du monde. Conversation avec Mathieu Potte-Bonneville.
Certains chercheurs ne se contentent pas d’introduire dans leur champ d’expertise une rupture décisive, porteuse de nouveaux horizons : ils savent aussi s’éloigner de cette rupture même pour tourner une deuxième fois la page, et opérer dans la pensée comme une seconde révolution. Professeur distingué de l’université de Chicago, l’historien indien Dipesh Chakrabarty fut l’auteur en l’an 2000 de ce qui devait devenir l’un des essais phares des études post-coloniales : intitulé Provincialiser l’Europe, la pensée postcoloniale et la différence historique, l’ouvrage diagnostiquait les biais qu’induit le point de vue occidental dans l’écriture de l’histoire, tout en montrant comment, à déboîter le récit du monde de sa matrice européenne, on renouvelle profondément l’arsenal de l’historien.
Or voici qu’à l’automne 2019, paraît dans la revue Critical Inquiry un article saisissant : dans « La Planète : une catégorie humaniste émergente », Chakrabarty invite à un nouveau déplacement. Selon lui la globalisation, comme récit et comme processus centré sur l’unification du monde par et pour l’activité humaine, touche à sa fin ; le réchauffement climatique qu’elle engendre nous introduit à une tout autre perspective, celle du « planétaire ». Cela oblige l’humaniste à entrer dans un nouveau dialogue avec les sciences, l’historien à se situer dans une autre échelle de temps, le citoyen du monde à renouveler ses catégories éthiques et politiques.
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